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Accord UE-Mercosur

L’opposition unanime des députés

Alors que la Commission de Bruxelles cherche à accélérer la ratification de l’accord avec le Mercosur par les chefs d’Etat et de gouvernement et à la veille de la visite en France du président du Brésil, Lula da Silva, les députés, toutes tendances confondues, se sont prononcés contre cette ratification, le 4 juin à Paris.

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« L’accord avec le Mercosur est inacceptable en l’état » a déclaré Stéphane Travert, député de la Manche et ancien ministre de l’Agriculture en ouverture de la conférence sur l’Accord UE-Mercosur qui réunissait les principales filières menacées (viande bovine, volaille de chair, sucre et céréales) en présence de députés issus des différents groupes politiques de l’Assemblée nationale, au Palais-Bourbon, le 4 juin à Paris. Alors que la ratification de l’accord est inscrite à l’agenda de Bruxelles, cette conférence visait à faire pression sur le président de la République et le gouvernement pour qu’ils recueillent auprès de nos partenaires européens, une minorité de blocage hostile à cet accord. Si la France s’y est toujours opposée, les tensions commerciales et la mise en place de tarifs douaniers dissuasifs par Donald Trump ont fait bouger les lignes au sein de l’Union européenne et la position française est fragilisée. L’occasion aussi pour les filières d’alerter Luiz Inacio Lula da Silva, le président brésilien en visite en France, de la détermination de la France à s’opposer à l’accord.

Morceaux nobles

En effet, la ratification de l’accord serait catastrophique pour les filières européennes concernées. Les interprofessions chiffrent à 2,87 milliards d’euros (Md€) la valeur agricole exposée par les contingents supplémentaires accordées à la viande bovine, à la volaille et aux céréales (sucre et éthanol non pris en compte). Particulièrement menacée la viande bovine avec l’octroi de contingents supplémentaires à droits réduits. Ce n’est pas tant la quantité de viande (99.000 tonnes de plus) qui est visée que leur nature. Il s’agit de morceaux nobles, des aloyaux, dont la totalité des importations pourraient représenter jusqu’à 50 % de la consommation, observe Patrick Bénézit, le président de la Fédération nationale bovine (FNB) et vice-président d’Interbev. Quand on sait que le coût de production au Brésil est inférieur de 20 à 30 % au coût européen, notamment en raison de l’absence de règles de bien-être animal et de l’utilisation de facteurs de croissance (antibiotiques et hormones) interdits en Europe, les conséquences seraient dramatiques pour la filière bovine française. Le président de la FNB estime à 500.000 la perte d’emplois dans les élevages et la filière déjà frappés par la décapitalisation, sans parler des fermetures d’abattoirs et la dévitalisation des zones rurales.

Distorsions de concurrence

Même scénario pour la volaille de chair. L’accord signé par la Commission européenne stipule l’importation supplémentaire de 180.000 tonnes de viande de volaille, essentiellement des filets, la partie noble de l’animal, dont la consommation ne cesse de progresser en France et en Europe. Or un quart de ces filets consommés en Europe sont déjà importés dans le cadre d’accords déjà signés avec le Brésil, la Thaïlande et l’Ukraine et l’effet cumulé de ces entrées supplémentaires correspondrait à la moitié de la production française, indique Jean-Michel Schaeffer, président de la Confédération française de l’aviculture (CFA) et de l’interprofession, Anvol. Avec ici aussi des distorsions de concurrence inacceptables, s’agissant de l’utilisation des antibiotiques comme facteurs de croissance ou de règles sanitaires moins strictes (salmonelles), voire absentes (bien-être animal). Sur le sucre, la Commission européenne accorde un contingent supplémentaire de 190.000 tonnes à droits nuls et 8,2 millions d’hectolitres d’éthanol, sans aucune mesure de réciprocité. Notamment en matière phytosanitaire. Par exemple, les agriculteurs brésiliens ont à leur disposition 46 substances actives interdites dans l’Union européenne, note Alain Carré, le président de l’Association interprofessionnelle de la betterave et du sucre (AIBS). Et de souligner que ces importations de sucre et d’éthanol priveraient de débouchés la filière française en Italie, Espagne, Portugal notamment. Ce qui entraînerait une réduction de la sole betteravière de 50.000 hectares (1/8 de la surface française) et la fermeture de l’équivalent de deux sucreries en cas d’application de l’accord.

Droit de véto

Pour les céréales, ce n’est pas tant les importations de maïs que ses dérivés qui sont visés. Mais cela correspondrait néanmoins à un million de tonnes de plus de maïs qui arriverait dans l’Union européenne avec les mêmes questionnements, un coût de production plus faible et l’utilisation de produits phytosanitaires interdits en Europe. « Il y a en France 40 matières actives autorisées contre 178 au Brésil », observe Franck Laborde, président de l’Association générale des producteurs de maïs (AGPM) et trésorier de l’interprofession Intercéréales.

Faute de recueillir une minorité de blocage de 35 % des voix, les filières et un certain nombre de députés entendent convaincre le président de la République d’utiliser son droit de véto en raison des conséquences désastreuses qu’aurait cet accord sur l’avenir des filières et l’environnement, voire le réchauffement climatique. « Pas question d’importer des produits que nous ne voulons pas », plaident les professionnels et les parlementaires, du moins tant que des mesures de réciprocité des normes, de clauses miroir, de contrôles en amont dans les pays d’origine, de traçabilité et d’étiquetage ne seront pas mises en œuvre ou l’introduction d’une clause de sauvegarde spécifique à chaque produit, comme le propose le député Stéphane Travert.