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Produits phytosanitaires et biosolutions

Biocontrôle et biostimulants : deux crises

Après avoir enregistré des résultats en forte croissance ces dernières années, les biostimulants et les solutions de biocontrôle marquent le pas, voire reculent, en 2024. Derrière ces difficultés, des causes communes, comme la baisse des prix des intrants de synthèse, dont ils constituent l’alternative, et les intempéries montrant leurs limites. Mais le biocontrôle pâtit aussi beaucoup de la crise du marché bio, son débouché historique. Quant aux biostimulants, ils payent des conjonctures céréalière et viticole dégradées.

Par Cédric Michelin
Biocontrôle et biostimulants : deux crises

Dans les allées du Sival, en janvier, les firmes de biosolutions (biocontrôle et biostimulants) affichaient leur optimisme : nouvelles molécules, homologations quasiment obtenues, partenariats et certifications. Mais à demi-mot, les exposants sont plus inquiets : « La conjoncture n’est pas favorable, soupire un responsable commercial. En biocontrôle, nous nous en sortons grâce à l’anti-limace et aux combinaisons avec les phytos, mais est-ce que cela suffira pour poursuivre les investissements ? »

Certes, Alliance Biocontrôle, l’une des associations qui fédère la profession, se veut rassurante, et maintient son objectif d’atteindre 30 % de parts de marché de la protection des plantes grâce à des solutions de biocontrôle, d’ici 2030. Mais c’est moins le moyen terme qui inquiète les acteurs, que le court terme. Les parts de marché de ce secteur, comme son chiffre d’affaires, sont en recul cette année : il est passé de 10 % (278 M€) en 2022 à 9 % (245 M€) en 2023.

Derrière les déboires de ces deux types d’alternatives aux intrants de synthèse, deux crises assez distinctes, même si elles partagent des causes communes. Commençons pour le biocontrôle.

Intempéries, crise du bio

En 2024, le biocontrôle a souffert des intempéries : pour être pleinement efficace, cet intrant doit être positionné avec précision, et sa rémanence, c’est-à-dire sa durée de protection, est plus courte que celle des produits phytosanitaires conventionnels. Or les précipitations records ont compliqué les passages. Le secteur craint aussi un désengagement de la part des agriculteurs, en raison des déconversions de l’Agriculture Biologique, mais aussi de la baisse des prix des produits phytosanitaires, face à l’apparition de produits génériques.

Outre les freins conjoncturels, les entreprises rencontrent des obstacles plus structurels. Les start-up mettent entre 7 et 10 ans à obtenir une autorisation de mise sur le marché (AMM). « Toute la difficulté est de réussir à tenir le nombre d’années nécessaires pour démontrer l’efficacité en champs, la réplicabilité des traitements et répondre aux exigences réglementaires », explique Édouard Combette, directeur de participation chez BPI France, et spécialiste des biotechnologies. La filière attend désormais des pouvoirs publics une simplification des homologations. « L’Anses pourrait autoriser les produits à faible risque en 120 jours, et approuver une substance en un an », pointe une experte réglementaire.

Pour les petites structures, la situation n’est pas rassurante. InCérès a développé deux solutions à base d’huiles essentielles, efficaces contre les pucerons et les mouches du fruit pour la filière cerise, qui ne dispose plus de produit phytosanitaire. Ines Taurou, sa fondatrice, s’insurge : « Nous n’avons aucune visibilité sur l’obtention d’une homologation en bonne et due forme. La filière demande chaque année une dérogation pour utiliser notre produit, mais elle est limitée à 120 jours. Ce n’est ni pérenne ni sécurisant ».

Investisseurs frileux

La dirigeante regrette que les pouvoirs publics investissent dans la recherche de nouvelles solutions, sans garantie d’obtention d’AMM, incitant les start-up à quitter le marché français. Un phénomène observé par Gilles Schang, directeur adjoint du pôle Ecotech/biotech de Bpifrance : « Pour se refinancer pendant 10 ans, il faut passer des seuils significatifs et convaincre les investisseurs. Certaines sociétés font la stratégie de se développer d’abord sur les marchés internationaux, comme les États-Unis ou l’Amérique latine, pour revenir en France en étant plus solides ».

Ces difficultés interviennent dans un marché du capital-risque au plus bas des trois dernières années, qui déjà balayé le secteur de l’agriculture verticale, fragilisé par la hausse du prix de l’électricité. De son côté, la banque d’investissement publique a maintenu ses objectifs d’investissements dans les biosolutions en 2024, et accompagné quatre entreprises.

Mais les investisseurs privés, notamment les grands groupes ou les fonds d’investissement font preuve d’attentisme. « On observe une nette diminution des rachats et financements de start-up », pointe Mathieu Bounes, directeur de De Sangosse, firme française qui s’est imposée dans les biosolutions par sa R & D et par l’acquisition de technologies et de sociétés.

Les leaders des intrants conventionnels, tels que Yara, Syngenta, Bayer, FMC, Adama ou Helm, qui s’étaient à leur tour lancés dans la course aux biosolutions, font face à des difficultés, et ont pour certains annoncés des restructurations, investissements à la baisse, ou la suspension temporaire de leurs offres combinatoires (association de biostimulants et de pesticides de synthèse).

Biostimulants en manque de céréale

Du côté des biostimulants, qui relèvent du marché de la fertilisation, les entreprises se crispent aussi. « Certaines entreprises, adhérentes ou non, sont en grande difficulté financière », soupire Stéphanie Tiprez, directrice d’Afaïa, le syndicat des producteurs d’engrais organiques et de biostimulants.

Après trois années de forte croissance en valeur, avec une progression moyenne annuelle d’environ 25 %, les biostimulants accusent un coup d’arrêt en 2024 et reculent de 1,7 %. « La progression du marché de la vigne a permis de compenser en partie la forte baisse enregistrée en grandes cultures, où le marché a dévissé de plus de 10 % », détaille Christophe Jounaux, responsable de compte de Kynetec, leader des études de marché en agriculture. La baisse de 7 % des emblavements en céréales a mécaniquement réduit le marché des biostimulants, d’autant que ces cultures ont été principalement remplacées par du maïs, sur laquelle ces applications sont moins fréquentes.

Par ailleurs, le contexte climatique perturbé a fortement pesé sur les itinéraires techniques : les semis ont été retardés, parfois réalisés dans de mauvaises conditions, ce qui a contraint les agriculteurs à prioriser leurs interventions essentielles, comme le désherbage et la fertilisation, au détriment des biostimulants. Le potentiel des cultures a été affecté, ce qui conduit généralement les agriculteurs à moins investir dans les biosolutions. Enfin, la baisse des prix des céréales et oléoprotéagineux par rapport aux campagnes précédentes n’a pas non plus incité les producteurs à appliquer des biostimulants visant à améliorer le potentiel de la culture.

Premières chutes

Sur le terrain, certaines sociétés flanchent. En 2024, plusieurs entreprises ont été soumises à une procédure collective. C’est le cas de Gaïago, qui a été placé en redressement judiciaire le 5 mars. « Nous avions misé sur l’international avec des investissements lourds, mais la guerre en Ukraine a brouillé notre visibilité », explique Jean-Pierre Princen, président de Gaïago jusqu’à sa reprise par l’énergéticien Vol-V.

Ynsect, start-up spécialisée dans les fertilisants à base de frass d’insectes, est, depuis septembre, sous procédure de sauvegarde, et un appel d’offres pour trouver un repreneur a été lancé en janvier. Agronutris, une autre jeune pousse de l’élevage d’insectes, rencontre des difficultés similaires.

En Espagne, le géant Kimitec, pressenti pour devenir un leader mondial des biotechnologies, aurait accumulé une dette de plus de 150 M€, et a engagé un plan social. « Le développement a été suspendu dans les marchés les plus lents, comme la France », explique un ancien cadre de la firme.

Malgré ces crises, BPI France se veut optimiste : « nous restons profondément convaincus que les biosolutions sont l’avenir, que les marchés vont s’ouvrir et que de nouveaux business modèles vont émerger », affirme Gilles Schang. Même son de cloche, du côté de Kynetec. « Les accidents conjoncturels, ça arrive, nous en avons déjà connu, estime Christophe Jounaux. Mais la tendance est là, et les projections restent favorables pour les années à venir ».