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Observatoire départemental des dynamiques rurales

Une inégalité des chances scolaires pour les ruraux ?

Le 31 janvier dernier à Mâcon, le préfet de Saône-et-Loire, Yves Séguy présidait l’observatoire départemental des dynamiques rurales aux côtés de l’inspectrice d’académie.

Par Cédric Michelin
Une inégalité des chances scolaires pour les ruraux ?
« Nos jeunes ruraux sont mobiles puisqu’ils sont dans les transports scolaires dès la petite enfance, au contraire des enfants urbains. Et cela rajoute après, un « financement important et des frais » pour les ruraux partant en études supérieures dans les métropoles ou villes ».

Installé en janvier 2024, l’observatoire se réunissait pour la deuxième fois. Cette instance permet de partager le contexte général démographique. « Cet observatoire est particulièrement tourné vers l’évolution de la cartographie scolaire », introduisait le préfet qui voit là, la « possibilité de rapprocher les données démographiques de celles de la communauté éducative ». Autour de la table, on notait la présence du Député Dirx, du Département mais aussi d’un représentant de la Draaf pour l’enseignement agricole ou encore du président des Maires ruraux de Saône-et-Loire, Jean-François Farenc. Tous avaient à cœur de comparer ces statistiques avec les réalités de terrain et des familles notamment. Alors que la Saône-et-Loire est un des plus rural de France, avec près de 564 communes, les cartographies successives laissaient une image de « mosaïques ». « Pas évident » dès lors de déterminer une règle simple. Tout est dans les détails qui peuvent rapidement cacher des diablotins.

Mais l’objectif était pour le Préfet que « nos jeunes disposent du maximum d’atouts permettant de trouver tous les débouchés, grâce à des parcours scolaires ici qui correspondent aux potentiels des uns et des autres ». Cette palette de formations étant plus large dans les grandes métropoles, dont ne dispose pas la Saône-et-Loire et à peine Dijon ou Besançon, pour notre région. Il ne suffit pas de faire l’état des lieux passé et présent, mais il convenait aussi d’anticiper « les dynamiques » des territoires, pas que démographiques, mais également des besoins des entreprises locales.

Liliane Ménissier, la directrice académique (Dasen) de Saône-et-Loire, se penchait donc sur les classes de primaires, laissant de côté collèges et lycées qui ne sont pas en territoires ruraux, bien que les élèves des campagnes soient concernés. La Dasen expliquait avoir organisé huit réunions avec les élus « qui ont la compétence scolaire » depuis la précédente présentation de l’Observatoire l’an dernier. « On donne l’image de leur territoire et de ce qui se passe aussi à côté », insistait Liliane Ménissier. Si les maires « ont bien reçu le diaporama après réunion », ce n’est pas le cas de la presse qui l’a pourtant demandé pour vérifier les chiffres.

Décrochage de la population après 18 ans

Premier enseignement qui a interpellé la rectrice régionale, « on voit le décrochage de notre population après 18 ans dans le département », faute d’offre scolaire surtout. Résultat, moins de familles en âge d'avoir des enfants. Le « décrochage de population » commence même à partir de 15 ans qui décide de suivre des études dans d’autres départements. Le phénomène s’accentue encore pour les élèves après 19 ans. « C’est énorme. Cet écart se creuse et s’explique par le fait que nos jeunes ne restent pas pour faire des études supérieures, car nous n’avons pas de centre universitaire important ». Ce n’est pas uniquement les jeunes saône-et-loiriens qui sont concernés par ces migrations scolaires forcées, mais bien de nombreux départements de Bourgogne-Franche-Comté qui partent vers d’autres régions ayant des métropoles et centres universitaires.

Retour après 50 ans... sans enfant ?

Les saône-et-loiriens « mettent du temps pour revenir » qu’à partir de 50 ans ! Ce qui explique aussi en grande partie le vieillissement de la population de la région avec plus de personnes âgées en proportion. Au début des années 2010, « les plus de 65 ans sont devenus plus nombreux que les moins de 20 ans en Saône-et-Loire », alors qu’au national, cela devrait arriver dans les prochaines années. Une première subtilité est donc que le solde démographique n’est « qu’en petite baisse, mais avec une baisse démographique scolaire importante ». L’exemple le plus marquant est « l’attractif » Mâconnais qui gagne des habitants, mais perd des élèves en âge d’être scolarisés.

Une volonté de regrouper

Résultat, il faut donc affecter le personnel scolaire adéquat. Et ce en fonction des projets scolaires des communes. « Un réseau définit par le Ministère de l’Éducation Nationale par typologie des communes », voyant une carte se colorer de couleurs pour « rural éloigné » ou « bourgs ruraux éloignés » sur lesquels sont effectués « un accompagnement particulier », expliquait Liliane Ménissier. Éloigné, dans le sens loin des lieux de formations et culturels (classement Insee). Dans le département, sont ainsi classées 530 communes sur 564. Parmi elles, 354 communes possèdent une école. L’an dernier, « il y a eu cinq fermetures d’écoles suite à des « fusions », souvent maternelles avec classe élémentaire ». Le préfet émettait le souhait de « ne pas interpréter ces cartes de façons péjoratives. Juste pour interpeller de façon visuelle l’évolution ». La Dasen affirmant que « nous sommes sur un accompagnement plus fort sur ces territoires éloignés ». Son souhait étant de récompenser « ceux qui ont fait des efforts de regroupement les années précédentes pour les accompagner dans des RPI concentrés pour ne pas faire de fermeture cette année », alors qu’ils auraient pu se voir fermer une classe. « J’en mesure aussitôt les effets et c’est pour cela que cela doit relever d’une stratégie de territoire », nuançait le préfet, pensant aux « aménagements des territoires », comme avec la reprise de la filière nucléaire. Le député Dirx rebondissait en demandant de la « tolérance dans les critères », faisant le parallèle des 89 communes qui ont été exclues – depuis rattrapées dans le budget (PLF) 2025 – du classement en ZRR (Zone de revitalisation rurale) à « quelques euros près » du seuil fiscal. S'agissant là de ne pas fermer une classe à un enfant près parfois.

Les classes, les enseignants et les parents

La Dasen, elle, pense « d’abord aux enfants, qui dans une école à une ou deux classes, à faible effectif donc, vont avoir leur scolarité dans cette seule école avec souvent le même enseignant et des groupes d’élèves restreints, ce qui n’est pas dynamique en terme pédagogique ou d’émulation », voulait-elle faire toucher du doigt. Le président de la République a affirmé qu’il « n’y aura pas de fermeture d’école sans l’accord du maire », « même si le regroupement est quand même mieux pour les élèves », reprenait Liliane Ménissier. Sans compter le coût pour les communes pour moderniser ou entretenir leurs écoles, complétait-elle.

L’Éducation nationale « croise cette carte scolaire » et démographique avec d’autres critères d’ailleurs, dont l’indice de position sociale (IPS). Le préfet voyant là une façon d’affiner les chances de réussite des parcours scolaires. « On a un nombre important de petites écoles, plus que la Nièvre, l’Yonne, la Côte-d'Or en proportion. 90 RPI (regroupement pédagogique intercommunaux) mais que 10 concentrés, donc beaucoup de RPI dispersés », rajoutait Liliane Ménissier. 39 RPI sont une école à une classe. 10 RPI avec deux écoles à une classe. Et 5 RPI avec trois écoles à une classe. Et un RPI qui a quatre écoles à une classe. La ruralité ayant quand même un taux d’encadrement supérieur (nombre d’élèves par enseignant = 6,42). 

Sous les 40.000 élèves à la rentrée 2025

Avec 40.690 élèves lors de la dernière rentrée, la Saône-et-Loire a perdu un tiers de sa population scolaire en l’espace de 40 ans et l’an prochain, encore « 972 » élèves sont prévus en moins, avec une baisse plus marquée dans le rural que dans le milieu urbain. Par communauté de communes, celle du Clunisois et de Marcigny « perdent plus » entre 15 et 20 % de population scolaire. À l’inverse, la Bresse est plutôt sur une « dynamique » scolaire, avec pour raison périphérique l’arrivée de médecins, des prix de terrains à construire « bas » ou encore l’attractivité de Lons-le-Saunier. Autant dire que l’attractivité relève d’un ensemble de facteurs.

Liliane Ménissier considère que l’Indicateur de position sociale « est vraiment lié à la famille » qu’il faut croiser avec ces indicateurs des territoires. Avec encore toutes les limites des statistiques, un couple de CSP + pouvant avoir un bon pouvoir d’achat, mais pas le temps de s’occuper des devoirs de ses enfants et à l’inverse, une famille monoparentale en rural avec des parents retraités pouvant les aider plus facilement le soir.

Finalement, la réalité ne rentrera jamais dans des cases avec tous les bouleversements des foyers familiaux. Mais là, il ne s’agit plus de l’instruction dispensée par l’Éducation nationale… qui a enlevé 18 et 24 postes d’enseignants en 2023 et 2024 sur le département. « On a beaucoup de statistiques, mais pas beaucoup d’observation qualitative », regrettait Jean-François Farenc qui déplore qu’on puisse faire dire aux chiffres ce que l’on veut leur faire dire. « Nul n’a la vérité totale », concluait le préfet qui faisait un parallèle avec la gestion du patrimoine, des églises et même des cheptels en agriculture. Et finalement, aucune ferme ne se ressemble… tout comme le « talent de l’enseignant ».

AMR71 : Non à 60 fermetures de classe !    

Dans un communiqué de presse daté du 13 février, l’Association des Maires ruraux de Saône-et-Loire dit "Non à 60 fermetures de classe en Saône-et-Loire !" En effet, l’association a été interpellée par de nombreux collègues, de toutes les circonscriptions scolaires, suite à ces intentions de fermeture de classes en Saône-et-Loire. La Directrice des Services Académiques de Saône-et-Loire avait reçu le 6 février dernier pour présenter de nombreuses courbes, graphiques, tableaux illustrant la baisse de la démographie scolaire, "ce que nous ne nions pas… Cependant la ruralité ne va quand même pas devoir souffrir de sa dimension géographique et de sa densité d’habitation moindre… lesquelles sont inhérentes à la définition même de l’espace rural", argumente Jean-François Farenc, président de l’AMR71 qui rappelle que la Saône-et-Loire est en superficie à 94 % rurale.

Le Bureau de l’AMR71 s’est alors réuni le 12 février à Martigny-le-Comte pour constater que les projets de suppression de classe affectent largement le monde rural alors même que le « soutien à la ruralité » est affiché par le Gouvernement en place et les précédents. L’AMR71 s’oppose donc aux projets de fermeture, et demande de prendre en compte :

o la qualité de l’enseignement et de l’environnement scolaire dans nos écoles de proximité,

o la pertinence de maintenir une classe rurale dès qu’un effectif minimal de 16 élèves est atteint, voire la considération d’un seuil spécifique dans les 87 communes de montagne (article 15 de la loi Montagne),

o une évaluation systématique du temps de transport scolaire et la mesure de l’allongement des déplacements domicile-école qui peut résulter d’une suppression de classe, données non prises en compte aujourd’hui

o la considération des investissements conséquents opérés par les Mairies pour les locaux scolaires, souvent avec le concours de l’État (DETR…),

o la prise en compte du nombre d’enfants de 2 à 3 ans, niveau TPS (très petite section), dans la comptabilisation des effectifs scolaires,

" L’École rurale est une chance pour nos enfants, car elle conjugue proximité et qualité de l’enseignement. Aucune fermeture de classe ne doit intervenir à la hussarde, et nous demandons la mise en place d’une véritable concertation avec les élus, très en amont du vote du budget de l’État, avec une considération des effectifs sur une période triennale. Nous saisissons par ailleurs le Préfet, garant du respect des engagements du Gouvernement dans le département. Nous lui demandons d’intervenir auprès de la Directrice Académique afin que soient respectées les spécificités de la ruralité ", conclut l’AMR71 dans son communiqué.